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4.1 les impacts sur l’individu au niveau cérébral

 

De nos jours, nous savons que le sommeil joue un rôle important sur la psychologie d’un individu au quotidien, notamment sur les études et l’humeur. En effet, des observations faites sur des étudiants ont permis de constater que le sommeil influait sur les résultats scolaires : ceux ayant un déficit de sommeil ont vu leurs notes baisser par rapport à leurs camarades. De plus, nous avons tous pu constater qu’un manque de sommeil entraine une mauvaise humeur. Nous allons étudier les répercussions du sommeil sur la mémorisation, sur l’attention, puis sur l’humeur.

 

mémorisation

4.11 La mémorisation

La mémoire est notre capacité de se rappeler des expériences passées. Elle est indispensable au quotidien de l’adolescent, notamment pour les études. Nous savons que relire les cours juste avant de se coucher améliore la mémorisation de ces derniers de 30% : il existe donc un lien entre sommeil et mémoire.

 

Comment fonctionne la mémoire ?

Il existe plusieurs mémoires : dès 1995, le psychologue canadien Endel Tulving suggéra l’existence de cinq mémoires différentes, à savoir la mémoire perceptive (ou sensorielle), de travail, procédurale, épisodique et sémantique. Ces différentes mémoires sont divisées en trois grandes parties que l’on distingue par la durée de mémorisation d’une information : la mémoire sensorielle, la mémoire à court terme, et la mémoire à long terme.

 

La mémoire sensorielle provient (comme son nom l’indique) de nos sens, principalement de l’ouïe et de la vue. L’information est conservée de quelques millisecondes à une ou deux secondes : la mémoire sensorielle fait partie du phénomène de perception. Elle est cependant indispensable au stockage de l’information, et ne tient pas compte de la signification de cette information.

 

La mémoire à court terme est constituée de la mémoire dite « de travail », qui dépend de l’attention donnée aux éléments de la mémoire sensorielle. Elle est indispensable au quotidien car elle nous permet de stocker une information pendant environ quelques secondes (voire quelques dizaines de secondes), et de se la rappeler durant ce délai. La plupart du temps, cette information porte sur un ou plusieurs éléments que l’on doit se rappeler lors d’une tâche précise. En général, nous sommes capables de retenir jusqu’à 7 éléments, mais ce chiffre peut varier de plus ou moins deux éléments suivants les individus. Un exemple de mémoire de travail est la mémorisation d’un numéro de téléphone.

La mémoire à long terme est, quant à elle, composée de plusieurs mémoires : la mémoire explicite et la mémoire implicite. Elle peut durer des jours, des mois, des années, voire toute une vie.

La mémoire explicite est elle-même constituée de deux mémoires : la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. Nous pouvons nous rappeler ces souvenirs, d’où le terme « mémoire explicite »


La mémoire épisodique permet de se souvenir d’évènements vécus dans un lieu et à un instant donné, mais aussi de prévoir le lendemain. Elle permet également le stockage et la prise de conscience de ces évènements. Les détails s’effacent avec le temps ; cependant, l’addition d’éléments liés à ces évènements forment, à terme, des nouvelles connaissances générales, qui ne sont pas liées à un évènement vécu. Cette mémoire est le support de notre histoire.


La mémoire sémantique permet de mémoriser les connaissances générales sur soi et sur le monde, par exemple la signification des mots, la couleur d’un objet, ou encore les règles à respecter… c’est une mémoire de référence, une base de connaissance que tout le monde a. Les souvenirs sont accessibles rapidement, et sans efforts.

 

La mémoire implicite, qui inclue principalement la mémoire « procédurale », regroupe les informations retenues qui ne font pas l’objet d’un rappel conscient. Par exemple, nous n’avons pas besoin de nous concentrer lorsque nous marchons,  mangeons, ou même nageons. Ces automatismes restent inscrits sans efforts, et reviennent facilement lorsque la situation le demande. Nous pratiquons des activités les mettant en place, plus ces informations reviennent facilement.
 

La mémoire implicite regroupe également :

  • les conditionnements émotionnels (comme la peur),

  • nos réflexes conditionnés,

  • l’effet d’amorçage (qui implique une augmentation ou une diminution de la vitesse de traitement d’une information, ainsi que sa précision).

 

Ces mémoires ne sont pas indépendantes, au contraire : il existe plusieurs liens entre elles. Tout d’abord, pour qu’une information rentre dans la mémoire de travail, il faut que l’individu prête attention à cette information perçue.

 

Liens entre les différentes mémoires

Beaucoup l’auront remarqué, se répéter un élément (comme une date ou un numéro de téléphone) va permettre d’éviter l’oubli, d’où la nécessité de relire plusieurs fois ses cours pour les apprendre.
Enfin, l’encodage - qui donne un sens à l’information (exemple : « fruit rond jaune » pour un citron), et la consolidation - qui permet une meilleur conservation du souvenir -  vont permettre à une information d’être conservée sur le long terme. Nous pouvons toujours nous souvenir d’éléments de notre mémoire à long terme. Néanmoins, toutes les mémoires sont sujettes à l’oubli.

Quel est le trajet de l’information dans le cerveau ?

Les différents souvenirs sont stockés non pas dans une mais dans cinq parties du cerveau. La mémoire de travail est localisée dans le lobe frontal du cerveau, la mémoire sensorielle dans les différents cortex sensoriels (à savoir visuel, gustatif, auditif, olfactif et somatosensoriel), la mémoire épisodique dans le cortex préfrontal et l’hippocampe, la mémoire sémantique dans le lobe frontal et le lobe temporal gauche, et la mémoire procédurale dans le cortex moteur, les ganglions de la base et le cervelet.

Localisation de l’information dans le cerveau

De plus, le neuroscientifique Rémi Gervais explique que « Une information n’est pas localisée à un endroit précis. On trouve des traces de souvenir dans le cortex, mais aussi ailleurs. ». Ainsi, les scientifiques ne peuvent observer le fonctionnement général du cerveau, mais seulement un petit groupe de neurones (pour rappel, le cerveau humain contient environ cent milliard de neurones…).

Néanmoins, nous savons (grâce à des enregistrements IRM lors d’exercices de mémorisation) que l’hippocampe joue un rôle central dans la gestion de l’information. En effet, cette structure du lobe temporal du cerveau joue un rôle de chef d’orchestre des souvenirs, elle est le carrefour des informations mémorisées : lorsqu’une information parvient à l’hippocampe, ce  dernier va alors décider du trajet que va prendre cette information, c’est-à-dire s’il faut l'oublier, ou bien la conserver, et dans ce cas la diriger vers la bonne partie du cerveau, en fonction de sa nature.

Localisation de l’hippocampe dans le cerveau

Qu’est-ce qu’un souvenir ? Comment pouvons-nous nous souvenir de quelque chose ?

Un souvenir est un réseau de neurones qui communiquent rapidement ensemble. La mémorisation provient d’une modification des connexions entre les neurones d’un système de mémoire, d’une modification des synapses, permise grâce à une propriété de ces dernières : la plasticité synaptique, selon laquelle les synapses peuvent changer en force en fonction de leur utilisation. Selon la loi du neurologue Donald Hebb, lorsque deux neurones sont activés en même temps par un événement, ils sont plus faciles à réactiver ensemble par la suite. Chaque souvenir correspond donc à une organisation particulière de plusieurs neurones.

Ainsi, la plasticité synaptique permet à notre cerveau d’enregistrer une information, de la faire passer de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme : ce mécanisme se nomme « la potentialisation à long terme » (ou PLT).

Plusieurs éléments sont importants pour le déroulement de ce phénomène. Parmi eux, le glutamate, un neurotransmetteur qui se fixe sur différents récepteurs, dont les récepteurs AMPA et NMDA, eux aussi importants pour la potentialisation à long terme.

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Un souvenir est un réseau de neurones qui communiquent rapidement

Le récepteur AMPA, associé à un canal ionique, provoque l’entrée d’ions sodium (Na+) lorsque du glutamate se fixe. Cette entrée de sodium entraine une dépolarisation locale de la dendrite (une dépolarisation est la transition du potentiel d’une membrane d’une valeur négative, de repos, à une valeur positive) qui va entrainer un influx nerveux dans le neurone post synaptique, lorsqu’elle aura atteint le seuil de potentiel d’action.

 

Le récepteur NMDA, également associé à un canal ionique, provoque quant à lui l’entrée d’ions calcium (Ca2+). Seulement, ce récepteur est bloqué par des ions magnésium (Mg2+), qui empêchent l’entrée des ions calcium.

 

C’est ici qu’intervient la potentialisation à long terme. En effet, lors d’une transmission simple d’un influx nerveux, seuls les ions sodium rentrent dans les canaux ioniques, de façon lente, les récepteurs NMDA étant bloqués.

Lors d’une stimulation à haute fréquence à l’origine d’une potentialisation à long terme, davantage d’ions sodium rentrent rapidement dans les récepteurs. La dépolarisation du neurone post synaptique s’établie plus facilement. De plus, cette dépolarisation, associée à la fixation du glutamate sur les récepteurs NMDA, vont retirer les ions magnésium, et ainsi libérer les canaux ioniques pour permettre l’entrée de nombreux ions calcium..

 

Ainsi, avec une potentialisation à long terme, les neurones communiquent plus facilement : la synapse s’agrandit, les récepteurs se multiplient, et le passage dans les récepteurs est facilité : la transmission d’un potentiel d’action est favorisée.

Quel est le trajet de l’information dans le cerveau ?
vigilance

Dès 1924, un lien entre sommeil et mémorisation fut observé par les psychologues américains Jenkins et Dallenbach : lorsque l’on donne une liste de mot à apprendre à deux groupes d’individus, et que l’on permet à un seul de ces deux groupes de dormir, ce groupe obtiendra de meilleurs résultats. Cependant, les psychologues ont pensé que le sommeil avait seulement un rôle passif : les informations apprises ne seraient pas perturbées par d’autres stimuli dans le cerveau.

 

Mais en réalité, le sommeil joue un rôle bien plus important. En effet, lorsque l’on stimule le cerveau avec des ondes semblables à celles du sommeil lent, la mémorisation est favorisée. Le directeur d’unité à l’Université libre de Bruxelles, Philippe Peigneux, relate :

 

« La théorie dominante, c’est que  pendant le sommeil une zone du cerveau, l’hippocampe […], profiterait de l’absence de stimuli entrants pour consolider les apprentissages en faisant travailler le cortex. L’imagerie cérébrale permet de voir que pendant ce processus, les régions activées le jour durant l’apprentissage sont réactivées durant le sommeil. ».  Cependant, le chercheur affirme que le rôle du sommeil n’est que partiel, car si on ne dort pas, on perd 30% de l’information, pas 100% : une partie de la mémorisation a lieu le jour.

 

De plus, lors d’une étude réalisée par Géraldine Rauchs, chercheuse à l’Inserm de Caen, 26 personnes volontaires, 11 hommes et 15 femmes âgés de 23 à 27 ans, ont été soumis à un test. Les chercheurs ont présenté des mots à ces personnes, avec des consignes : certains mots devaient être retenus, tandis que d’autres mots devaient être oubliés. Ensuite, ces personnes ont été partagées en deux groupes : l’un pouvait dormir la nuit suivante, l’autre non. Résultat ? Trois jours après la présentation des mots, le groupe ayant passé une nuit blanche se souvenait autant des mots à retenir que l’autre groupe. Cependant, le groupe n’ayant pas dormi à également retenu les mots à oublier (les chercheurs n’avaient pas spécifié qu’ils seraient demandés), contrairement au groupe ayant dormi. De plus, les erreurs sont plus fréquentes chez le groupe qui n’a pas dormi.

 

Les résultats de cette étude démontrent que le sommeil permet de trier les informations importantes de celles qui ne le sont pas, ce qui est nécessaire : si ce tri n’était pas effectué, l’individu conserverait trop d’informations et ainsi ne saurait plus retrouver l’essentiel. Par exemple, si un étudiant fait une nuit blanche avant un examen, il va avoir du mal à retrouver le message essentiel de ce qui était à retenir : l’oubli est également important.
L’activité de l’hippocampe a également été observée lors de l’apprentissage et du rappel du souvenir. Durant l’apprentissage, cette partie du cerveau émet un signal, ce qui indique au cerveau quelles sont les informations importantes à retenir et à consolider lors du sommeil. « Notre étude va dans le sens de certains travaux qui suggèrent que l’hippocampe marquerait des populations neuronales spécifiques au moment de l’apprentissage (comme avec des étiquettes). Ces populations étiquetées seraient ensuite réactivées au cours du sommeil, mécanisme à la base du processus de consolidation » affirme Géraldine Rauchs.

 

Ainsi, nous avons vu que le sommeil permet de consolider les informations apprises, et d’effectuer un tri dans ces informations. A cela s’ajoute également un rôle d’assimilation de connaissances, et la suppression de la composante émotionnelle du souvenir - permettant de ne retenir que l’information, ce qui facilite l’encodage.  Un manque de sommeil entraine donc des difficultés de mémorisation.

4.12 La Vigilance

Nous savons tous qu’avec un manque de sommeil, nous sommes moins concentrés sur nos actions, et nous sommes plus facilement sujets à une somnolence au cours de la journée. Ainsi, nous allons étudier les effets d’un manque de sommeil sur la vigilance, et les conséquences que cela peut avoir.

Qu’est-ce que la vigilance ?

Tout d’abord, définissons la vigilance. Cette forme d’attention est un état de réactivité, durant l’éveil, et dans l’environnement dans lequel se trouve un individu.


Elle peut être mesurée de différentes façons :

 

  • on peut évaluer la vigilance subjective, ce que ressent l’individu, avec les échelles de somnolence de Stanford (pour l’état actuel de l’individu) et d’Epworth (une auto-évaluation de la facilité à s’endormir).

  • la vigilance objective est également mesurée, en évaluant la capacité de maintien de l’éveil et le délai d’endormissement.

  • la somnolence objective permet de mesurer la rapidité à s’endormir, avec des mesures de délai d’endormissement au cours de plusieurs siestes.

Comment varie la vigilance ?

La vigilance varie selon plusieurs éléments. Parmi eux, la situation de l’individu, qui aura plus de facilité à somnoler allongé dans son lit qu’au cours  d’une conversation avec un ami. De plus, une dette de sommeil entraine un plus grand besoin en nutriment, ce qui va avoir pour effet de baisser la vigilance de l’individu au cours de sa journée. D’autre part, la vigilance est régulée par notre horloge interne, suivant un rythme circadien, au même titre que l’alternance jour-nuit. Nous pouvons également voir grâce aux graphiques que la vigilance est liée à la température corporelle : lorsque la température baisse, la vigilance baisse. Ces baisses se manifestent durant la nuit, avec un minimum vers  3h du matin, et également après manger, vers 15h. Nous pouvons donc dire qu’un décalage de notre sommeil peut influencer la vigilance par le biais de l’horloge interne.

Graphiques des variations de la température corporelle et de la vigilance

humeur

Ainsi, les décalages de phases (principalement des retards de phases chez l’adolescent) vont avoir pour conséquence de modifier l’organisation circadienne de la vigilance au cours de la journée : chez un adolescent en retard de phase, toute son organisation circadienne de vigilance est retardée de 3h, avec une vigilance maximale à 20h (au lieu de 17h), comme nous pouvons le constater sur le schéma ci-contre.

 

 

Des études réalisées sur des personnes narcoleptiques (maladie qui implique une fatigue permanente et entraine des endormissements involontaires de l’individu malade) ont permis de montrer que ces personnes n’avaient presque pas de neurones produisant de l’orexine, un neurotransmetteur excitateur qui stimule l’éveil. Nous pouvons ainsi faire le rapprochement entre baisse de la vigilance et orexine.

 

Variation du sommeil et de la vigilance

Les baisses de la vigilance ont de grands impacts sur la journée. Chez l’adolescent, elles entrainent une baisse de la concentration, et ont donc des conséquences pour l’écoute en classe et le travail. Si l’on étend le sujet à une plus grande population, les baisses de la vigilance peuvent avoir des conséquences plus graves, notamment au volant d’une voiture.

4.13 L'humeur

Nous l’aurons tous remarqué, les personnes ayant mal dormi sont facilement irritables, ont des troubles de l’humeur et de leurs émotions.

Quelles sont les conséquences d’un manque de sommeil sur l’humeur ?

Tout d’abord, ces troubles de l’humeur peuvent provenir de l’idée faite par l’individu ayant mal dormi, qui pense que, inévitablement, une mauvaise nuit entraine une mauvaise journée, ce qui n’est pas forcément le cas. Cet individu va devenir plus agressif tout d’abord envers les personnes avec lesquelles il est peu lié, puis envers ses proches. Un mauvais sommeil entraine une baisse des réflexes : ainsi, une personne ayant peu dormi peut devenir de mauvaise humeur en raison de ses manques de réactivité et de concentration.
Enfin, des recherches ont montré que les personnes atteintes de fatigue chronique présentaient une carence en carnitine, un composant chimique qui améliore l’humeur.
A cela s’ajoute le fait que le sommeil permet de remettre le compteur des émotions à zéro : ainsi, lors d’un manque de sommeil, une personne peut conserver du stress, de l’énervement, etc… Les centres émotifs du cerveau sont 60% plus réactifs.

 

Un manque de sommeil sur le long terme peut entrainer un risque de dépression. En effet, selon une activité réalisée par les chercheurs de l’Université de Colombia, le temps de sommeil influe sur le risque de dépression, voire sur les envies de suicides chez les adolescents. L’étude a été réalisée sur 15 659 jeunes de 12 à 18 ans, entre 1994 et 1996. Les résultats ont montré que les adolescents qui dormaient moins de 5h par nuit avaient 71% de plus de risques d’être dépressifs, et 48% de plus de risque de penser à se suicider.
Ainsi, le manque de sommeil affecte la capacité de réponse du cerveau aux stimuli négatifs, les capacités de gestion du stress et des relations avec d’autres personnes, le jugement, la concentration et le contrôle des émotions.

 

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